Présentation et fabrication de la Faïence
UN PEU DE TECHNIQUE
Qu’est-ce que la faïence ?
La faïence est une pratique de production de pièces décoratives fort ancienne, au même titre que le grès et la porcelaine. En France, elle connut ses heures de gloire du XVIIIème siècle jusqu’au début du XXème siècle avec d’importants sites de production demeurés célèbres comme Nevers, Rouen, Lunéville, Saint-Clément, Lille, Marseille, Lyon ou encore Moustiers. Certains sont demeurés actifs et d’autres ont quasi disparu comme Samadet et Saint Sever. De ces pôles de production d’ampleur nationale et de réputation internationale, il ne reste presque plus rien sinon quelques artisans, de petites manufactures qui luttent pour maintenir à la fois la empreinte de leur style et les techniques anciennes qui les singularisaient. On aurait tort de croire que les faïenceries sont des endroits rétrogrades cramponnés à de vieilles lunes technologiques. Certes, des artistes, des artisans préfèrent encore fabriquer à la main et cuire dans le four cloche, préserver la cuisson au bois, conserver le tournage à la main, pratiquer la production au colombin mais leur capacité de production est – volontairement ou pas – fort limitée. Peu importe ! Ils produisent et c’est bien. Kéram’arts s’inscrit dans une logique de sage modernité – tables de coulage rationalisées, moules en séries, mélangeur électrique, fours électriques, émaillage au pistolet, site internet – parce que le confort des salariés est essentiel et que leur statut de handicapés ne permet guère de tricher avec leur santé.
COMMENT FABRIQUE-T-ON ?
1) le modèle
L’approche manufacturière exige d’abord de créer les formes. En argile ou en plâtre, sur un tour ou en simple surmoulage de formes existantes, on créée des objets nouveaux qui seront, dans un second temps, reproduits en des demi formes, des noyaux de plâtre, desquels on tirera les moules-mères qui seront utilisés, à leur tour, pour obtenir des moules de production. Le noyau et le moule-mère de quelque forme que ce soit sont le cœur du métier de faïencier. Là, réside le patrimoine de compétence de la manufacture. Cette partie de l’activité est un vrai métier, très spécifique de création, qui exige une véritable minutie, une connaissance de ce que sont les volumes, les contre-dépouilles, la résistance mécanique des matériaux.
2) la barbotine
Kéram’arts utilise de la terre française, tantôt normande, tantôt du Centre de la France. Cette terre est, comme partout, « normalisée » en usine pour être constante dans ses caractéristiques de densité, d’humidité, de dilatation/rétractation et de couleur pour un usage homogène en manufacture ou en usine. L’argile achetée chez les spécialistes est généralement un composé de plusieurs carrières ce qui garantit une réelle stabilité de la qualité de la matière première pour la production ultérieure. Ce composé argileux (silice, quartz, feldspath, kaolin pour l’essentiel) est délayé avec de l’eau, et un défloculant (silicate et carbonate de soude) pour la liquéfier dans un mélangeur mécanique, en vue d’atteindre une densité attendue avec des caractéristiques de viscosité, de fluidité nécessaires et clairement identifiées. C’est la « barbotine » qui doit avoir la consistance, au coulage, de la pâte à crêpes.
3) le coulage
Une fois la barbotine prête, on la verse dans des moules en plâtre dans lesquels elle va demeurer entre 30 et 180 minutes en fonction de la nature de l’objet attendu. Durant ce laps de temps, l’eau qui est dans la barbotine pénètre dans le plâtre qui l’aspire. Il se réalise ainsi une épaisseur un peu plus ferme au contact intérieur du moule.
Le céramiste apprécie alors à quel moment idéal il doit vider le trop plein demeuré au milieu du moule une fois atteint l’épaisseur ferme escomptée. Le « ressuyage » s’opère alors en laissant le moule achever de se vider bien avant qu’on ne le retourne pour achever de laisser la forme obtenue se raffermir à suffisance. Il faut compter plusieurs heures, parfois une nuit entière avant d’espérer démouler.
Quand, au bout de ces heures, la terre est assez ferme, on procède à l’ouverture du moule. quand il s’agit de moules à plusieurs éléments (une base, des flancs, une nourrice), les choses sont simples. Il en va autrement quand il faut utiliser des sous- pièces afin d’obtenir des formes tarabiscotées, avec des creux et des bosses, ce qu’on appelle les contre-dépouilles. Parfois, il convient d’attendre un ou deux jours – pour les très grandes pièces, c’est une nécessité – afin d’éviter l’écroulement de la pièce sur elle-même sous son propre poids – alors que les formes avec des contre dépouilles doivent être sorties plus vite pour ne pas souffrir de tensions contraires dans les parties en retrait (cols, pieds).
4) le finissage
L’objet sorti de son moule, intervient le séchage qui doit être maîtrisé. Une pièce séchera vite dans ses parties les plus hautes et les plus fines tandis que le bas restera humide et mou. On comprend aisément que les différences dans les taux de dilatation de la matière (si sec, en retrait de 6 à 8% par rapport à une partie mouillée) risquent d’engendrer des cassures, des fêlures, invisibles souvent avant la cuisson, réduisant l’objet à néant. Le séchage est simple affaire de patience et de méthode : pas de courants d’air, par de forte chaleur, pas d’humidité excessive de l’air, pas de soleil direct sur les pièces. La pièce enfin sèche dans sa globalité passe au poste de finissage qui consiste à gratter les coutures, les bavures, les blessures sur les objets issus de moules en plusieurs parties, les divers défauts d’usure, les marques involontaires. Une pièce qu’on aura déformée en la manipulant trop fraîche gardera le souvenir de cette déformation même après avoir été « réparée » à la hâte. C’est la mémoire de forme, délicate réalité qui s’explique par la distorsion causée à la matière. Lors de la déformation, l’argile s’étire dans sa masse et il est illusoire de croire qu’elle va revenir à son apparence initiale comme du caoutchouc. L’argile est souple mais pas élastique.
On finit avec un grattoir, une éponge sèche puis une éponge mouillée, en éliminant soigneusement tout ce qui n’est pas attendu, tout ce qui fera « laid » plus tard. Le finissage est un moment clé : raté, il garantira bien des déceptions esthétiques. Bien conduit, il assurera une production digne de la clientèle qui l’attend.
5) la première cuisson : le biscuit
Séchée à nouveau après les coups d’éponge du finissage, la pièce est mise au four pour la première cuisson. On peut remplir le four sans trop de souci car les pièces ne vont pas se coller les unes aux autres. On peut les empiler, les ranger les unes dans les autres, en prenant garde tout de même à la fragilité générale de ces produits crus. Tenir compte de la dilatation des pièces lors de la cuisson. Là encore 6 à 8% sont des taux ordinaires. La cuisson, on l’imagine, est un moment majeur. Pour la faïence, on cuit à 1020° très exactement, dans une cuisson d’une dizaine d’heures, sous la conduite d’un
programmateur pyrométrique qui prévoit de nombreux paliers, des temps de pause, afin d’égaliser la température dans tout le four et dans toute la masse des pièces en cuisson.
L’objet fragile devient, après deux jours de lent refroidissement, ce qu’on appelle le « biscuit », forme plus solide, souvent de couleur blanc crème ou un peu jaune (rouge orangé voire rouille si la terre est riche en oxyde de fer). On le mettra soigneusement à l’abri de la poussière en prévision de l’étape suivante que sera l’émaillage.
6) l’émaillage
On émaille de diverses manières : au trempage dans un baquet pour les grosses pièces ou dans une simple cuvette en plongeant rapidement le biscuit qui aspire très vite un mélange d’oxyde et d’eau, laissant une couche plus ou moins épaisse accrochée à l’objet. Ni trop, ni trop peu. Là, réside le choix esthétique du producteur. Au pistolet, on réalise un mélange stable et régulier d’eau, de colle à papier peint et d’oxyde pour une projection par pression d’air. Trois, quatre voire cinq passages sous le pistolet sont parfois nécessaires pour obtenir des tons francs, homogènes et profonds. Il faut protéger le biscuit de la poussière ambiante par ce que cette dernière est « grasse » et que ce « gras » fera souvent une pellicule sur la pièce, donc créera des refus d’émail à la cuisson. Il faut aussi veiller à ne pas toucher la pièce en biscuit avec ses doigts qui sont très souvent porteurs de saleté grasse. L’usage de gants fins neufs et propres s’impose.
7) la seconde cuisson
Il convient alors de nettoyer les parties (la base des objets) qui seront au contact des plaques de cuisson dans le four de cuisson d’émail avant de placer les objets récemment émaillés (et une fois encore qu’on a pris soin de laisser à sécher) dans le four pour la seconde cuisson autour de 1000 degrés. La bonne température est indiquée par le fournisseur d’émaux. On notera qu’il convient de bien repérer s’il y aura harmonie entre la nature argileuse du biscuit et l’émail dans ce qui constitue la dilatation et la rétractation lors de la seconde cuisson. La seconde cuisson est souvent plus courte et on aura pris soin de veiller à ce qu’aucun contact entre les pièces n’aura été rendu possible. La dilatation ferait des siamois volontiers inesthétiques et irréparables. Prévoir quatre ou cinq centimètres entre les pièces en tous sens. On enfournera donc beaucoup moins de pièces émaillées que de pièces à biscuiter dans un même four pour une même cuisson. Et pour d’évidentes questions de températures maximales requises, on s’interdira de mélanger des pièces à biscuiter et des pièces en émail. La patience devant le four qui refroidit lentement est l’ultime qualité attendue : on n’ouvre pas un four au-dessus de 100 degrés sans quelques risques fâcheux. Apparaissent enfin les objets méticuleusement fabriqués, associant l’esprit et la main dans un travail de création contrôlée.
Toutes ces pratiques et exigences n’ont de sens qu’avec la maîtrise qu’on acquiert par une pratique patiente et attentive. La faïence n’est pas « difficile » elle est une source inépuisable de méticulosité, de prudence, de réflexion.